Goasguen contre Alphand, l’ordonnance du 29 mai 2012

Le juge des référés civil se déclare incompétent au profit du juge électoral.


Le procès peut reprendre en appel ou devant le juge électoral après les élections.


30 Mai 2012 17:00

C’est un référé d’urgence qui a été plaidé devant Madame Claire David le 25 mai 2012 entre les deux candidats aux législatives 2012 dans la 14e circonscription de Paris qui regroupe le sud du 16e arrondissement.

Claude Goasguen lance la procédure le 18 mai 2012 en demandant à la Présidente du tribunal de grande instance de Paris l’autorisation d’assigner David Alphand pour la date la plus proche. La date d’audience est fixée au 25 mai 2012 à 11h30. David Alphand reçoit la convocation en justice le 21 mai 2012.

Claude Goasguen forme plusieurs demandes au juge des référés à l’encontre de David Alphand :

- lui interdire la diffusion de tracts électoraux faisant apparaître les mentions UMP ou Union pour un Mouvement Populaire,

- lui faire injonction de communiquer le nom de l'imprimeur de ces documents ainsi que les bons de commandes et les bons à tirer,

- ordonner la mise sous séquestre par huissier de justice de l'ensemble des tracts non encore diffusés et faisant apparaître ces mentions,

- ordonner à David Alphand de diffuser un tract reproduisant la décision à intervenir,

- le condamner à lui verser 2 500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, c’est-à-dire pour des frais de procédure.

Décision d'incompétence

La statue de la Justice au Palais de Justice de Paris - Photo : VD.
A l’audience, l’avocat de Claude Goasguen renonce à la demande de communication, les pièces sollicitées venant d’être produites par l’avocat de David Alphand.

Ce dernier dépose des conclusions et soulève au nom de son client l'incompétence du juge des référés de l'ordre judiciaire au profit de l'ordre administratif. Il demande de débouter Claude Goasguen de toutes ses demandes. Il sollicite 1 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1 500 € au titre de l’article 700 précité.

Le Juge des Référés après la tenue des débats et l’examen des écritures des parties et de leurs pièces a rendu le 29 mai 2012 la décision d’incompétence du juge civil avec la motivation suivante :

« Attendu que M. Goasguen reproche à M. Alphand d'avoir fait diffuser à son nom des tracts électoraux en vue de la campagne pour les élections législatives de juin 2012 portant la mention UMP, alors qu'il vient d'être exclu de ce parti en date du 11 mai 2012 ;

Attendu que M. Alphand soulève l'incompétence du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris au profit du juge administratif, ce à quoi M. Goasguen réplique qu'il n'agit pas dans le cadre électoral, mais sur le fondement de l'article 3 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que le fait que M. Alphand n'ait pas déféré à sa sommation de communiquer le nom de l'imprimeur le privait de la possibilité de savoir s'il était réellement l'auteur de la · demande de diffusion du tract incriminé et 1'empêchait de savoir s'il s'agissait réellement d'un tract électoral ;

Mais attendu que l'article 3 de la loi sur la presse qui stipule que tout écrit public porte l'indication du nom et du domicile de l'imprimeur ne peut pas être mis en jeu par le juge civil, la sanction de ce défaut d'indications étant le prononcé d'une amende ;

Attendu que le tract litigieux porte en en-tête la mention suivante : Elections Législatives 10 et 17 juin 2012, 16e arrondissement, 14e circonscription, ce qui ne laisse planer aucun doute sur le but électoral du tract diffusé par M. Alphand ;

Attendu que le trouble manifestement illicite allégué par M. Goasguen porte donc indéniablement sur les documents électoraux de son adversaire ; qu'il s'ensuite que dès lors que la demande de mise sous séquestre porte sur ces documents, il n'appartient pas aux juges de l'ordre judiciaire d'interférer dans les opérations électorales, dont le contentieux ressortit au seul juge de l'élection ;

Attendu qu'il y a donc lieu de nous déclarer incompétent pour statuer sur la demande ;

Attendu que M. Alphand n'établit pas en quoi l'action en justice exercée par M. Goasguen a dégénéré en abus ; qu'il doit être débouté de sa demande en dommages et intérêts de ce chef ;

Attendu que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile. »

L'UMP ne s'est pas joint à la procédure

Eu égard à l’aspect électoral du tract, cette incompétence ne surprend pas. Le tribunal des conflits dans une décision du 28 septembre 1998 relative aux recours contre les irrégularités commises avant et pendant une élection a estimé qu'il n'appartenait pas aux tribunaux judiciaires d'interférer dans les opérations électorales dont le contentieux relève du seul juge de l'élection. Un juge des référés au civil ne peut donc plus faire cesser les irrégularités commises avant ou pendant un scrutin.

Relevons aussi que le parti politique UMP ne s’est pas joint à la procédure alors qu’il avait un intérêt légitime à protéger son sigle d’utilisations abusives en matière de propagande.

Moins convaincant est le raisonnement sur l’article 3 de la loi du 29 juillet 1881 car le juge civil peut prescrire des mesures permettant à une partie de conserver la preuve pour un procès ultérieur et c’est bien ce qui était demandé, semble-t-il, par Claude Goasguen. Cependant les pièces réclamées ayant été produites par David Alphand et le nom de l’imprimeur apparaissant sur l’affiche identique au tract collée sur les panneaux électoraux de David Alphand, cette demande avait-elle encore un objet ? Il est possible pour Claude Goasguen de saisir le Procureur de la République de Paris.

Un juge des référés prudent

En tout état de cause, le procès peut se poursuivre en appel ou bien devant le juge électoral.

Le juge des référés est sur ce dernier point prudent.

En règle générale lorsqu’une juridiction se déclare incompétente, elle indique précisément devant quelle juridiction le litige doit être porté. Par exception le juge des référés n’a pas l’obligation de désigner la juridiction compétente.

L’avocat de David Alphand considère que c’est devant le juge administratif que le litige doit être porté. Le juge civil a éludé la difficulté. En effet, le juge électoral pour les élections législatives est le Conseil constitutionnel. Il est saisi des recours contre les résultats des élections législatives. Il apprécie s’il a été porté ou non atteinte à la sincérité du scrutin et si les résultats de l’élection ont pu en conséquence être altérés pour se prononcer sur la validité de l’élection ou son annulation. Mais le Conseil constitutionnel apprécie concrètement l’impact de l’abus de telle sorte que pour regrettables que soient certaines manœuvres, si elles n’ont pas été de nature à modifier le résultat final de l’élection désignant l’élu, il n’y aura pas annulation.

Certes le juge administratif a pourtant des parties de contentieux. En effet, si les candidats aux législatives ne sont pas recevables à demander au juge administratif d'en réformer les résultats, ils peuvent saisir le tribunal administratif par exemple pour contester la décision leur refusant le remboursement des frais de propagande engagés par eux durant la campagne électorale en invoquant, s'ils s'y croient fondés, des erreurs dans le décompte des suffrages. – Cour Administrative d’Appel Versailles chambre 1 – 17 Juin 2010 – n° 09VE03809 – D / Préfecture de Seine Saint Denis.

Mais lancer un référé administratif sur des documents relevant de la propagande électorale risque d’aboutir à une nouvelle décision d’incompétence.

Quant à la saisine de Conseil constitutionnel sur une éventuelle altération de la sincérité du scrutin, elle ne peut intervenir qu’après la proclamation des résultats.

Affaire à suivre sur Paris Tribune.




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