Le Made in France à l’épreuve du pouvoir d’achat

Texte participatif déposé par Fabrice Plequin.


Le Made in France est-il trop cher pour gagner les faveurs du marché ? On peut en douter, car la qualité et la renommée de l’offre française lui permettent de se positionner efficacement sur les marchés les plus exigeants.


Fabrice Plequin
19 Février 2013 12:45

À l’heure où, en France, les effets de l'inflation sont à peine compensés par l’évolution des salaires, il peut être légitime de questionner la pertinence d’une stratégie commerciale reposant sur le Made in France.

Les consommateurs et les entreprises, dont le budget est serré, ont-ils les moyens de s’offrir un produit français dont le coût demeure, quoi qu’on en dise, plus élevé qu’une large partie des produits concurrents ? À bien y regarder, il semblerait que la réponse soit oui. Les débouchés du Made in France sont réels, car les produits français constituent une alternative face aux griefs généralement adressés à la déferlante des produits low cost.

French touch

Dans une tribune pour Le Cercle des Échos, Christopher Hogg, professeur affilié à HEC, résumait en mai 2012 les enjeux du Made in France : "la valeur s’est enfin socialisée et s’échange aujourd’hui au sein de réseaux physiques ou virtuels". "La question est de savoir en comparaison quelle est la valeur apportée par le Made in France" interrogeait-il alors.

C’est à cette question que Thibaut de Jaegher entendait précisément répondre dans un article intitulé "L’art de vivre, l’avantage compétitif oublié du Made in France", publié dans L’Usine Nouvelle. Son auteur, relevait en effet trois qualités constitutives de cet art de vivre : la finesse, l’élégance et la créativité. Ces caractéristiques n’ont rien d’anodin puisqu’elles sont rares, d’une part, et transposables à une infinité de produits. "L’art de vivre à la française ne concerne pas seulement l’industrie du tourisme, les métiers de bouche ou l’hôtellerie" affirmait en effet Thibaut de Jaegher, "il peut aussi se traduire dans de nombreux autres secteurs".

Une rapide exploration du tissu industriel français permet de s’en assurer. Prenons l’exemple de Piscine Magiline. Dépositaire du label Origine France Garantie, cette entreprise dirigée par Laurent Ostrowsky mise sur l’image d’une production française et se donne les moyens de l’entretenir.

Rien que pour obtenir le très sélectif label délivré par le bureau Véritas, Magiline a dû débourser 5 800 euros afin de se mettre à niveau. Ce label atteste tant de la qualité de la production de Magiline que du prestige de son origine française. "Ce label représente un avantage concurrentiel dans les pays où il vaut mieux importer que consommer local, comme en Asie explique Laurent Ostrowsky à chefdentreprise.com, le Made in France est clairement un atout, mais il ne dispense pas d’être compétitif". L’effort semble payer puisque, fort de son réseau de concessionnaires répartis dans 26 pays, Piscine Magiline rapportait d’une hausse de 93 % de son activité à l’export à l’issue du premier trimestre 2012.

Les avantages compétitifs de la France existent. Précision d’exécution, style et créativité sont des arguments dont certains producteurs français n’hésitent pas à se prévaloir. Non sans engager les moyens nécessaires pour pouvoir se targuer de pratiquer une telle qualité de production. Mais ces producteurs ont compris l’intérêt de la suggestion de Christopher Hogg "d’aller chercher dans les yeux des autres nos valeurs pour mieux les satisfaire". Quant à ceux qui pensent encore que ce n’est là qu’une vue de l’esprit, il suffit de se pencher sur les débouchés du Made in France.

Des marchés sensibles à la qualité avant tout

© Atlantis - Fotolia.com
Maria Mercanti-Guérin, maître de conférences au Conservatoire des Arts et Métiers, a étudié l’impact de l’argument[made in France sur le commerce en ligne. "Le succès des sites “Made in France” ne se dément pas", affirme-t-elle, "en témoigne le site 100pour100-madeinfrance.fr, l’un des pionniers en la matière dont la fréquentation a bondi de 50 % en 2012".

Maria Mercanti met en exergue une stratégie simple pour expliquer l’engouement des consommateurs pour les boutiques telles que 100pour100-madeinfrance.fr : les sites "Made in France", avance-t-elle, "peuvent proposer des produits à un prix inférieur au prix magasin ce qui permet d’éliminer un des principaux freins à l’achat d’une production française". En matière de débouchés, le prix apparaît sans surprise comme un enjeu crucial pour le produit Made in France. Mais ce n’est pas le seul.

Certaines entreprises font également le pari d’utiliser l’argument Made in France afin de séduire la demande professionnelle.

Dans le secteur du textile, une dizaine de PME se sont associées au sein du groupement Griffes Défense qui rassemble des producteurs français "reconnus pour leur professionnalisme et la qualité de leurs effets", indique le journal Profrance. Griffes Défense brigue notamment les contrats d’habillement de l’armée, dont la production a récemment été externalisée.

L’argument du Made in France joue à nouveau un rôle central. Comme l’explique Laurent Marck, patron de La Calaisienne et membre de Griffes Défense, "il est important de parler d’autre chose que du seul prix dans les marchés publics (…). On va nous confier l’informatique, la logistique, le nettoyage (…) la délivrance et d’autres services qui vont au-delà de la confection". À un tel niveau d’exigence, la confiance est une donnée aussi importante que l’argument coût, et la proximité, la rapidité et la précision d’exécution sont autant de prérequis.

Toujours dans le secteur du textile, et même argument: celui de la qualité de la confection brandi par Smuggler, la marque française de costumes pour hommes, qui produit à Limoges. "Il s’agit d’ailleurs du dernier fabricant français de costumes et nombre de marques haut de gamme qui proposent encore quelques pièces made in France lui confient leur production", rapporte le magazine du salon France Production. On y lit la passion de Gilles Attaf, le dirigeant de l'entreprise : "Du biceps à l’épaule, de la carrure à l’estomac, tout est étudié afin de garantir une parfaite vestibilité". Du coup, l'entreprise a obtenu le label Origine France Garantie en 2011 qui, au sens de son patron, entérine l'identité profondément française de la marque.

Marchés publics, privés, professionnels ou de consommation, la production française rencontre le succès partout lorsqu’elle est bien positionnée. Elle peut se déployer sur tout les marchés. Elle "doit se concevoir à destination des consommateurs français, mais également comme un outil d’exportation", pour Maria Mercanti-Guérin. Malheureusement, rares sont encore les entreprises qui font valoir efficacement les arguments de la filiation française. C’est pourtant là un passage obligé pour s’identifier, auprès des clients nationaux ou étrangers, comme un producteur aux caractéristiques distinctes. Mais distinctes de quoi finalement ? Car si le producteur français possède les moyens de se démarquer, reste à savoir de quoi, pour être en pleine possession des règles de cette concurrence d'un genre revisité qui prend racine dans la guerre de l'image.

Une barrière aux dérives du libéralisme ?

Il semblerait que le Made in France s’impose de plus en plus comme une barrière aux dérives du marché libéralisé. Le consommateur réclame de la qualité, mais aussi de la traçabilité. Le donneur d’ordre doit s’assurer de la conformité des biens et services fournis par ses sous-traitants pour exercer sereinement et selon les normes fixées par son marché. On se souvient ainsi de la pauvre petite Marie, défigurée par un vêtement produit en Chine et imprégné d’un fongicide interdit en France. Quels consommateurs accepteraient d’acheter deux fois les mêmes vêtements produits à la marge des standards français à son enfant ? Quels commerçants accepteraient de se fournir à nouveau en articles nocifs pour la santé du consommateur sous prétexte que son prix de revient est "compétitif" ?

À bien des égards, le Made in France incarne davantage que la French Touch. Ses caractéristiques distinctives sont bien sûr indéniables. Mais il convient de ne pas oublier que la provenance d'un produit constitue un critère de décision de plus en plus important pour le consommateur. L'achat d'un produit répond à des considérations économiques, certes, mais aussi à des enjeux de santé, de durabilité, de qualité ou d'ergonomie.

En ce sens peut-on affirmer que le produit Made in France possède des propriétés particulières qui le rendent attractif partout dans le monde, mais aussi qu’il est, structurellement, une valeur refuge pour les consommateurs. Il est une valeur refuge pour les acheteurs étrangers lorsqu’ils désirent s’assurer d’un certain niveau de qualité et d’innocuité. Il est également une valeur refuge pour les Français qui le privilégient pour des raisons similaires, ou pour des motivations patriotiques. En dépit de son coût, le défi de la production française est alors de trouver les bonnes stratégies de positionnement sur un marché globalisé. Et cette globalisation passe aussi par l'image.



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