Stéphane Delajoux contre Jean-Claude Camus : compte-rendu d'audience

Diffamation dans le 17e arrondissement : compte-rendu d’audience devant le tribunal correctionnel de Paris.


Jean-Claude Camus, l'ex-producteur de Johnny Hallyday, était cité à comparaître pour diffamation par le Docteur Stéphane Delajoux, qui avait opéré la star en novembre 2009.


30 Septembre 2012 22:00

Dossiers 10, 11, 12, 13 et 14 : Jean-Claude Camus était cité à comparaître par Stéphane Delajoux pour diffamation publique envers un particulier dans 4 affaires de diffamation, et pour injure dans une 5e.

Bref exposé du dossier

Il est 14h50. Une durée d'1h30 pour les plaidoiries avait été réservée par le tribunal pour l'audience du vendredi 28 septembre 2012 devant la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris.

L'avocate de la partie civile, Maître Julia Stasse, du cabinet Temime est présente avec son client Stéphane Delajoux.
L'avocat du prévenu, Maître Daniel Vaconsin, est présent sans son client poursuivi : il explique que Jean-Claude Camus n'état "pas libre". Le Président accepte et déclare que "l’affaire est contradictoire".

Avant d'aborder le fond, il évoque la forme : ayant été l'un des magistrats dans une affaire de responsabilité civile médicale mettant en cause Stéphane Delajoux au sein de la 1ère chambre, 3e section, avec un jugement rendu le 14 mars 2011, le Président demande aux avocats si cela pose un "problème". La réponse est négative.

Puis le Président du tribunal expose brièvement le dossier : le matin du 11 décembre 2009 et le 17 décembre 2009, Jean-Claude Camus est interviewé en direct. Ses propos sont poursuivis par Stéphane Delajoux, partie civile. Avant de procéder à la lecture des pièces, le président indique l'ordre dans lequel les dossiers seront abordés : "14, 13, 11, 10 et 12".

Le Président : "Le contexte général (...) Johnny Hallyday est opéré à la clinique Monceau le 26 novembre 2009 (...) il est hospitalisé jusqu'au 28 novembre (...) le 30 novembre, il y une reprise de la cicatrice en ambulatoire (...) des soins à son domicile le 1er décembre (...) et Johnny Hallyday part aux Etats-Unis (...) le 3 décembre il consulte les médecins américains en ambulatoire (...) son état se dégrade et il est hospitalisé le 7 décembre (...) opération le 9 décembre (...) extubé le 12 décembre (...) le cathéter est enlevé le 16 (...)"
Stéphane Delajoux : "J'ai été agressé le 11 décembre sur la voie publique à Paris"

Lecture des propos poursuivis

Stéphane Delajoux devant la salle d'audience - Photo : VD.
Le Président lit les propos poursuivis en diffamation et injure :

Dans le dossier 14, les propos visés dans la plainte de Stéphane Delajoux ont été prononcés par Jean-Claude Camus, interviewé le 11 décembre dans la matinale de RTL radio animée par Vincent Parizot : "bah aux Etats-Unis, on me dit que son opération était un massacre".

En cause également, des paroles prononcées le 11 décembre sur Europe 1 (dossier 13) où Jean-Claude Camus répond à la question de Marc-Olivier Fogiel "Est-ce que vous êtes préoccupé ?"

D'autres éléments proviennent d'une interview en direct sur BFM, le 11 décembre toujours (dossier 11) : "l'opération n'était pas des meilleures", des propos qui n'ont ni été mis en ligne ni fait l'objet d'une rediffusion.

Le site internet du Parisien est également cité avec une diffusion d'une vidéo de l'AFP dans laquelle le mot "massacre" figure en bonne place (dossier 10).

Concernant l'injure, le président lit le contenu de l'interview de Jean-Claude Camus par Vincent Parizot le 17 décembre dans la matinale de RTL :
Vincent Parizot : "Vous avez parlé de massacre. Est-ce que vous revenez sur ces mots là ?"
Jean-Claude Camus : "J'ai dit 'on me dit que (...)' en tout cas, je crois qu'ils appellent le médecin français 'butcher' " ('boucher' en français, NDLR).

Stéphane Delajoux répond au Président du tribunal

Au micro, Stéphane Delajoux explique qu'il poursuit Jean-Claude Camus pour avoir parlé de "massacre" et de "butcher" notamment. Il demande 50 000 euros pour l'utilisation des 2 termes.

Le Président : "Que pouvez-vous dire au tribunal sur la manière dont vous avez entendu les propos ?"

Stéphane Delajoux : "Ils étaient extrêmement choquants (...) j'étais en contact direct et quotidien avec les médecins aux Etats-Unis, sa femme (de Johnny Hallyday, NDLR), son infirmière personnelle à Paris (...) il a été hospitalisé le 7 décembre (aux Etats-Unis, NDLR) (...) le 11 décembre quand j'ai entendu les propos de Monsieur Camus je n'en suis pas revenu d'autant plus que j'avais parlé au neuro-chirurgien, Monsieur Hunt, et il n'y avait pas le moindre mot d'agressivité (...) c'était en totale contradiction (...) Pourquoi a-t-il fait cela ?"

Le Président : "Vous avez eu une discussion avec Laetitia Hallyday..."
Stéphane Delajoux hésite et demande s'il peut évoquer ce qui est couvert par "le secret médical".
Le Président le rassure par un "Oui" et l'enjoint de poursuivre.
Stéphane Delajoux : "(Johnny Hallyday, NDLR) avait arrêté l'alcool à son arrivée aux Etats-Unis (...) il était en sevrage (...) le docteur américain a dit que la cicatrice était enflée (...) il a un syndrome de sevrage assez prononcé et c'était pour lui le principal problème (...) sueurs (...) tremblements (...) (...) j'ai été en rapport avec des sms et un coup de fil (avec Laetita Hallyday, NDLR) sur l'état de son mari j'ai dit "vous allez à l'hôpital" c'était un coup de fil bref (...)"

Le Président : "La communication téléphonique... ?"
Stéphane Delajoux : "Pas le moindre mot (...) j'ai reçu le dossier avec plus de 10 médecins et pas un mot qui mettrait en doute (mon opération) (...) c'est pour cela que j'étais totalement abasourdi (...) il ment pour protéger quelque chose (...) j'ai été très surpris."

Le Président : "Aujourd'hui, au niveau de la responsabilité civile médicale, y a-t-il une procédure pendante ?"
Stéphane Delajoux : "Monsieur Hallyday n'a jamais porté plainte".
Le Président : "Sur l'expertise diligentée en référé ?"
Stéphane Delajoux : "Il y a eu une transaction (...) il y a 3-4 mois".

Le Président demande qu'elles sont les conséquences sur son activité professionnelle :
Stéphane Delajoux : "L'arrêt d'une activité du jour au lendemain (...) j'étais soupçonné d'avoir "massacré l'idole nationale" (...) en 2009 j'ai réalisé 160 interventions, en 2010 il y en a eu 60 (...) la suspicion (...) les 3 premiers mois de 2010 seulement 3 interventions (...) c'était dans la tête de tout le monde (...) c'est très dur moralement (...) cela a été horrible".

Maître Julia Stasse, avocate du docteur, intervient : "J'aurais souhaité que Monsieur Stéphane Delajoux explique la différence entre les déclarations de 2007 - 2008 et celles au début de l'affaire (...) la différence entre l'impôt sur le revenu 2010 et le fait qu'il ait beaucoup moins opéré à la Clinique du Parc Monceau (...) il y a 60 000 euros d'écart alors qu'il a beaucoup moins opéré".

Stéphane Delajoux : "La raison (...) : je suis parti à Athènes pour opérer (...) car je n'avais plus de patients à Paris (...) la déclaration à l'administration fiscale française a été faite (...) une baisse des interventions en France (...) pas beaucoup de différences sur la déclaration des revenus (...) j'ai une société libérale avec un impôt sur les sociétés et un salaire de 5 000 euros par mois (...)"

Le Président : "Et votre situation... ?"
Stéphane Delajoux : "En 2010, un mariage a eu lieu".

Le Président poursuit ses questions sur le terrain médical.
Sur la position des experts, Stéphane Delajoux explique une différence d'approche : "(...) la position des experts américains (...) sur une étude menée sur 300 cas (...) en 48h la brèche s'est tarie, il n'y a plus d'écoulement (...) une (autre) étude (française porte) sur 3 000 patients (...) pas plus d'écoulement (...) c'est une bataille d'experts (...)"

Stéphane Delajoux explique le rôle de l'alcool dans l'état de Johnny Hallyday, en citant le rapport de l'infirmière :
- "Monsieur Hallyday n'a pas voulu respecter les consignes, il était très alcoolisé et n'entendait pas rester mais retourner à son repas, son caviar et sa vodka (...) il aurait fallu le mettre sous anesthésie générale (...) les américains l'ont fait (...) j'aurais dû le protéger et cela m'aurait aussi protégé (...) je me le reproche tous les jours".

Plaidoirie de l’avocat de la partie civile

Vitraux du Palais de Justice de Paris.
L'avocate de Stéphane Delajoux, Maître Julia Stasse, plaide en rappelant "le contexte de l'époque" et aussi "en tant que Fan de Johnny Hallyday" :

"En 2009, il est réhospitalisé le 7 décembre et il y a un papier par jour dans les médias" et elle les cite tous. "Johnny Hallyday est une véritable icône et le producteur s'est lancé dans une campagne de lynchage médiatique à compter du matin du 11 décembre (...)
- Sur RTL, le mot "massacre" associé à une opération chirurgicale (...) les actes les plus atroces (...) cela ne signifie pas "incompétent" (...) là il met en jeu la vie de la star Johnny Hallyday (...) ces propos sont diffamatoires (...)
- Dans Le Parisien.fr, Jean-Claude Camus trouve nécessaire de parler de "massacre" et de "dégâts" pour rajouter et frapper les esprits (...)
- Sur BFM Télé, on est dans la même veine, il continue à dire "massacre" et "dégâts" destinés qu'à effrayer les auditeurs (...)


- Sur Europe 1 "l'opération a donné quelques soucis, elle a déclenché des douleurs épouvantables, il fallait retirer tout ce qui avait été mal fait" (...) c'est la touche finale (...) pourquoi (...) il a utilisé à répétition en direct (...) pour le discréditer sur le plan professionnel et le désigner à la vindicte populaire de la mise en danger du chanteur Johnny Hallyday (...) un médecin dangereux (...) il y a donc diffamation (...)
- Jean-Claude Camus fait attention : "je n'ai pas vu l'opération, je l'ai entendu" (...) je n'ai vu aucune déclaration d'un proche de Johnny Hallyday s'exprimant en ces termes sur Stéphane Delajoux (...) qu'on dise qu'il s'agit de conversations privées de la famille qu'il aurait eu car Johnny Hallyday était dans le coma (...) mais ce n'est pas ça (...)
- Le terme "Butcher", boucher en anglais (...) quel est le terme le plus violent qu'on peut utiliser contre un médecin qui opère (...) c'est l'image d'un homme sanguinaire (...) donc Johnny Hallyday l'idole des Français risque sa vie (...) cela porte gravement à l'honneur et à la dignité (...)
- et là on a 2 témoins, dont un photographe, qui ont entendu parler (...) Jean-Claude Camus a cru bon, pendant que Johnny Hallyday était hospitalisé, il a cru nécessaire (...) répéter une injure (...)


Maître Julia Stasse poursuit sa plaidoierie :
"Sur la bonne foi (...) Jean-Claude Camus a dit qu'il fallait répondre à tous les médias, qu'il était sous pression (...) que les journalistes ont déformé ses propos (...) je ne demande pas qu'il fasse comme les journalistes avec une enquête sérieuse (...) il a dit "massacre", "dégâts" et "butcher" (...) le coma artificiel provoqué par les médecins américains a une autre cause (...) aucun document n'a été fourni par Jean-Philippe Smet (le nom à la ville de Johnny Hallyday, NDLR) (...) donc il y a eu un défaut d'information de vigilance par rapport à ce patient un peu particulier (...) il y a une animosité personnelle dans l'interview du 17 décembre (...) une intention de nuire (...) alors peut-être une question d'argent ? (...) la tournée d'adieu allait être annulée (...) les assureurs n'assurent jamais tout risque (...) Jean-Claude Camus avait déjà engagé 7,5 millions d'euros (...) quand on craint de perdre une telle somme, cela peut pousser à être aussi dénigrant (...)

"Je voudrais terminer sur le préjudice, déclare l'avocate, dans les 2 tableaux on voit très bien qu'il y a une baisse d'activité assez étonnante (...) une baisse d'activité avec 60 000 euros de différence (...) ce n'est pas l'essentiel du préjudice subi (...) mais le préjudice moral (...) Stéphane Delajoux a été condamné pour escroquerie en 2002 pour des faits remontant à 1998 et ce jugement est systématiquement produit alors que cela n'a rien à voir (....) et on lui oppose deux condamnations civiles postérieures à 2010 (...) 44% des médecins déclarent des sinistres comme fréquents (...) donc cela n'a rien à voir avec les propos attaqués (...) il y a eu une émission de Thierry Ardisson (...) dans Le Point où un article véhément a fait l'objet d'une condamnation (...) et plusieurs propos ont été jugés diffamatoires par la 17e chambre (...)".

L'avocate clôt sa plaidoirie : elle sollicite la condamnation de Jean-Claude Camus pour diffamation envers un particulier et pour injure, réclame des dommages et intérêts pour l'utilisation des mots "butcher" et "massacre" notamment, l’indemnisation par le prévenu des frais de procédure. Soit une somme atteignant les 145 000 euros pour les seuls dommages et inérêts. Enfin, Stéphane Delajoux, partie civile, souhaite que le tribunal ordonne des publications judiciaires du jugement dans trois journaux : Libération, Le Monde et Le Figaro.

Les réquisitions du Parquet

Vitraux du Palais de Justice de Paris.
Moment très attendu, le moment où s’exprime le Procureur de la République :

- "Sur le caractère diffamatoire (...) "massacre" pour une opération chirurgicale est en effet contestable et porte atteinte à l'honneur (...)"

Madame le Procureur donne son avis sur chaque dossier : "sur le 2e dossier (...) sur le 3e propos (...) "massacre" (...) à nouveau on parle d'un fait précis (...) sur la bonne foi (...) Jean-Claude Camus n'est pas un journaliste donc il ne peut pas faire d'expertise (...) sur l'animosité personnelle (...) sur la prudence dans l'expression (...) pas de termes neutres (...) même quand il dit qu'il ne fait que reprendre des propos (...) avec un indicatif très affirmatif (...) il aurait pu, au vu de la médiatisation évidente, affirmer avec des termes prudents (...) sur les imputations de diffamation (...) Jean-Claude Camus est coupable de ce fait (...)


Je vous laisserai vous prononcer sur la peine (...) Sur l'injure "butcher" le simple fait de le mettre dans la bouche d'un autre ne peut pas complètement déresponsabiliser (...)" quand on parle de "boucher" (...) infraction constituée (...)

Plaidoirie de l’avocat de la défense

Vitraux du Palais de Justice de Paris.
L'avocat du prévenu, Maître Daniel Vaconsin, présente 4 points :

- "Il est regrettable que ces propos aient pu déstabiliser car (Jean-Claude Camus) était coincé par les médias qui l'ont poursuivi (...) sur le fond, il ne les conteste pas (...)"

- "Il n'a aucun intérêt personnel dans cette affaire (...) le spectacle était assuré pour 19 millions d'euros en cas de défaillance pour raison de santé (...) par conséquent, ils étaient indemnisés"

- "Aucun reproche, vindicte personnelle contre Stéphane Delajoux qu'il ne connaissait pas"

- "Ce fameux 11 décembre, j'ai en mémoire qu'il m'appelle (Johnny Hallyday) avait de la fièvre (...) il s'est rendu aux urgences, le pronostic vital n'était pas engagé (...) qu'est-ce qu'on fait ?"



Puis il indique que son client "dans l'entourage de Johnny "on dit ça", "j'ai entendu dire ça" (...) les médecins américains ont vu arriver un individu qu'ils ne connaissaient pas, ils l'ont considéré comme abandonné, sans soins (...) qui s'occupe de lui ? comment a-t-il pu en arriver là ? il vient de France en avion (...) la femme de Johnny téléphone à Jean-Claude Camus (...) sauf que dès le début il y a un écoulement d'un liquide céphalo-rachidien qui a provoqué une infection généralisée (...) Johnny Hallyday a dit "j'ai frôlé la mort".

Sur le préjudice subi, Maître Daniel Vaconsin rappelle que lorsque Stéphane Delajoux a poursuivi Maître Olivier Messner pour diffamation, il a obtenu sa condamnation avec le versement d'1 euro au titre des dommages et intérets : "en revanche, pour Jean-Claude Camus il faudrait qu'il paye l'ardoise ! (...) si votre responsabilité (a été établie) à 75% (...) ce n'est pas la faute de Jean-Claude Camus (...)" L'avocat ponctue sa plaidoirie : "Est-ce que j'ai mauvais esprit ? (Stéphane Delajoux) a gagné 60 000 euros de moins et il demande 2 fois 50 000 euros et 3 fois 15 000 euros !"

Fin de l’audience

Interrogé par le Président du tribunal, le Procureur de la République déclare n’avoir pas d’autres observations à formuler. Cela marque la fin de l’audience, à 16h50.
Interrogé dans la salle des pas perdus, Stéphane Delajoux s'estime "soulagé" par les réquisitions de Madame le Procureur pour laquelle les faits reprochés de diffamation sont caractérisés.

Le délibéré est prévu le 2 novembre 2012 à 13h30.
Stéphane Delajoux à l'issue de l'audience - Photo : VD.



Journaliste tahitienne. Formations universitaires modestes, en droit, en sciences sociales… En savoir plus sur cet auteur
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