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Révision du procès Baudelaire : les réquisitions du Procureur

La loi du 29 juillet 1881 fonde la liberté de la presse.


Archives du procès en réhabilitation de Charles Baudelaire : Baudelaire et ses éditeurs réhabilités, c’est la liberté de créer protégée.


29 Juillet 2012 - 19:12
     

En 1857, Charles Baudelaire et ses éditeurs sont poursuivis et condamnés par le tribunal correctionnel de la Seine. La poésie est asservie.
En 1949, sous l’impulsion de la Société des Gens de Lettres, un procès devant la Cour de Cassation réhabilite Charles Baudelaire et ses éditeurs. C’est la protection effective de la liberté de créer, d’écrire et de publier.

Paris Tribune vous révèle les détails de la réhabilitation post mortem de Charles Baudelaire :
- Archives du procès en réhabilitation de Charles Baudelaire : le rapport du Conseiller à la Cour de Cassation.
- Procès en réhabilitation de Charles Baudelaire : l'arrêt de la Cour de Cassation.
- 29 juillet date anniversaire de la Liberté de la Presse : Sapho mise aux enchères, citée dans le poème "Lesbos" de Charles Baudelaire.
- Paris Tribune fête le 29 juillet, date anniversaire de la Liberté de la Presse.

Les réquisitions de Monsieur l’avocat général Dupuich représentant le Ministère Public

COUR DE CASSATION
Chambre Criminelle
saisie par le Procureur Général de la Cour de Cassation sur ordre du Ministre de la Justice à la requête du Président de la Société des Gens de Lettres d’une demande de révision du jugement du Tribunal correctionnel de la Seine du 20 août 1857 qui a condamné Charles Baudelaire à 300 fr d’amende et Poulet Malassis et de Broise à 100 fr d’amende chacun pour délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs en raison de la publication des « Fleurs du Mal », jugement rapporté par la Gazette des Tribunaux du 21 août 1857.


Audience du 31 mai 1949


Les réquisitions de Monsieur l’avocat général Dupuich représentant le Ministère Public :

Le 20 août 1857, il y a de cela 92 ans ou presque, la 6ème chambre du Tribunal correctionnel de la Seine, sous la présidence de M. Dupaty et sur les réquisitions de M. le substitut Pinard, condamnait Baudelaire à 300 fr. d’amende, MM. Poulet-Malassis et de Broise en 100 fr. chacun, pour « outrages aux bonnes mœurs par la voie du livre », plus suppression d’un certain nombre de poèmes, à l’occasion de la publication d’un recueil de poèmes intitulé « Les Fleurs du mal »… qui est peut-être le plus célèbre, certainement le plus connu des livres de la poésie française… Un seul volume a suffi à faire de Baudelaire l’un des premiers poètes de notre langue et dont la notoriété a de beaucoup dépassé nos frontières…
Rue Charles Baudelaire dans le 12e arrondissement de Paris.
Rue Charles Baudelaire dans le 12e arrondissement de Paris.

Et cependant, dès la publication, à l’été de 1855, de certains des poèmes qui allaient figurer dans le recueil au titre étrange « Les Fleurs du Mal », la revue de Buloz (« Les Deux-Mondes ») qui les avait fait paraître, croyait devoir excuser certaines « outrances verbales » en y voyant « l’expression vive et curieuse - même dans sa violence – de douleurs morales que l’on doit tenir à connaître puisqu’elle sont le signe de notre temps… », ajoutant que leur publication avait pour objet et pour but « d’aider un vrai talent à se dégager et à se fortifier ».

Ces précautions feutrées n’empêchèrent point l’éclat qu’allait produire la publication du livre. Baudelaire s’était donné pour but la peinture des misères de l’existence humaine ; peinture dégagée de toute convention de style. Dans la langue aux sonorités rythmées où il est maître, sans fard, sans voiles, avec toutes ses tares, ses hideurs, ses pièges, ses vices, ses beautés aussi… . « Enfer et ciel… qu’importe… », il veut porter à chacun son message. Et pour mieux atteindre, le mot ne l’effraie pas.

Cependant, il fallait un « éditeur ». Ce fut à Ploulet-Malassis, curieux personnage, élève de l’école des Chartres, érudit, écrivain à ses heures et qui ne manquait pas d’élégance, que Baudelaire s’adressa. Ce Poulet-Malassis, que la malveillance des échotiers de l’époque avait pourvu d’un « sobriquet » caricaturant son nom (Poulet-mal-Perché), était éditeur à Alençon. Il avait 32 ans, s’était lié d’amitié avec Baudelaire, de quelques années son aîné. Il avait un « associé », de Broise, qui apportait l’indispensable élément financier. Un contrat fut signé. Il devait être tiré 10 000 exemplaires qui parurent en juin 1857 au prix de 3 fr. l’unité, sur lesquels l’auteur percevait 0 fr. 25.

Et l’orage éclata… . « Le Figaro » qui se posait en défenseur de la « morale » invita le Parquet à se saisir. Certes, Baudelaire, qui avait connu à l’occasion de la publication, à l’été de 1855, de certains de ses poèmes quelques vives attaques, n’était point sans s’attendre à ce que le « recueil » fit quelque éclat. Mais l’expérience Bulloz n’ayant point été, après tout, si mauvaise, il est à présumer qu’il n’envisageait point que son livre dût « déclencher les foudres judiciaires ». Je me suis laissé dire qu’un des tenants majeurs de cette École nouvelle qu’on appelle l’Existentialisme, professerait « qu’il n’osait pas les espérer ». Ce n’est peut-être qu’un mot cruel, mais au surplus, je n’ai pas eu la possibilité de le contrôler, faisant à cet égard confiance à notre rapporteur de qui je le tiens.

Cependant tel n’est point mon avis, si je retiens les efforts qui furent entrepris pour épargner à Baudelaire les bancs de la Police correctionnelle. Le numéro du 14 juillet 1857 du « Moniteur » publiait, sous la signature d’Edmond Thierry, un article favorable au poète. Mais MM. Abbatucci et Billault, respectivement ministres de la Justice et de l’Intérieur, estimaient que c’était « consolider le régime que défendre la morale bourgeoise… ». Et Baudelaire dut se choisir un défenseur. Ce fût Me Chaix d’Estange qui, au lendemain du procès – ou presque – allait coiffer la toque aux quatre minces galons d’or du procureur général.

On rapporte également que Baudelaire avait pensé « émouvoir ses juges » ou les « adoucir » en leur faisant « hommage » d’une « plaquette » réunissant quelques-uns de ses poèmes, assortis des commentaires favorables de quelques critiques de l’époque. Sainte-Beuve lui-même, critique officiel et bien en cour aux Tuileries, avait « promis son aide ». Promis seulement... Flaubert, logé à la même enseigne que Baudelaire, lui marquait toute « sa solidarité », écrivant – ou à peu près – ceci : « Pas de danger que pareille mésaventure soit arrivée à ce sale bourgeois de Béranger » (qui mourait en cette même année 1857). Et pourtant il en écrivit bien d’autres... et combien plus suggestives… à commencer par « sa grand-mère , qui le soir à sa fête, de vin pur ayant bu deux doigts, nous disait en hochant la tête… que d’amoureux j’eus autrefois… Mais à ce chantre des amours faciles, honneur, gloire et argent… ».

Et l’affaire vint devant le Tribunal. Le Parquet n’avait « incriminé » que 13 poèmes sur une centaine. « Néfaste indulgence, disait Baudelaire. Dix mots d’un homme , et je le fais pendre. C’est la totalité de l’œuvre qu’il fallait juger, l’ensemble de l’édifice. C’est de la masse qu’il constitue que se dégage l’idée qui l’a fait naître, la leçon qu’il veut donner, la moralité qui l’éclaire. Vous me faites grief d’un meneau mal ajouré, d’une architrave mutilée. Quelle injustice. Elle vous masque la terrible leçon que j’ai voulu mettre dans mon œuvre. Et combien de livres n’avez-vous pas poursuivis, qui ne respirent pas comme le mien, l’horreur du mal. Et la liberté du poète, voire la licence de son verbe, pourquoi voulez-vous les atteindre et punir en moi. A côté de la « morale » de la vie courante, il y a celle de l’art. Et l’agitation de l’esprit dans le Mal, pourquoi voulez-vous la priver de sa libre expression, aussi osée qu’elle vous semble. Votre « morale prude et bégueule », où conduit-elle ? A faire croire que tout est bien, que tout est bon, que tout est beau… Quelle abominable hypocrisie… ».

Voilà – ou peu s’en faut – ce que l’on peut lire dans les « notes » (ou ce qu’il en reste) établies par Baudelaire pour sa défense, notations que, non sans habileté, Me Chaix d’Estange allait reprendre et développer, Me Lançon plaidant pour MM. Poulet-Malassis et de Broise.

Cependant notre « prédécesseur », médiat au Parquet de la Seine, M. Pinard, poussait son « attaque ». Oh ! en magistrat fort parisien, n’ignorant pas la valeur de l’encens d’un compliment. « L’auteur, disait-il, arrive devant vous protégé par des écrivains de valeur ; des critiques sérieux, dont le témoignage complique ma tâche. Et pourtant, poursuivait-il, je n’hésite pas à la remplir. Ce n’est pas l’homme que nous jugeons, mais son œuvre… Baudelaire n’appartient pas à une École. Il ne relève que de lui-même. Son principe, c’est de tout dire, de tout peindre, de tout mettre à nu. Il fouille la nature humaine dans ses replis les plus intimes. Ses tons sont vigoureux et saisissant ; il les exagère, les grossit outre mesure à seule fin de créer l’impression, la sensation… Cela est-il possible ? Et suffit-il, pour tout faire admettre, de parler ensuite du dégoût né de la débauche ? Croit-on que certaines fleurs, au parfum vertigineux, soient bonnes à respirer ? Le parfum qu’elles dégagent n’éloigne pas d’elles, il grise monte à la tête… ».

Et, tout en abandonnant implicitement l’inculpation d’outrage à la morale religieuse que la prévention visait en vertu des lois de 1819 et 1822, mais en citant un certain nombre de poèmes, ceux précisément que le Tribunal allait retenir, M. Pinard demandait la condamnation de Baudelaire, le juge étant, selon son expression, « une sentinelle qui ne doit pas laisser passer la frontière ».

Cette condamnation, il l’obtint nonobstant la défense de Me Chaix d’Estange dont j’ai dit qu’elle ne manquait point d’habileté, encore que certains commentateurs l’aient critiquée. Il montra la « hauteur » de la poésie de son client, évoqua Béranger, Gautier et bien d’autres, depuis Rabelais, en passant par Casanova et Restif de la Bretonne, et réclama l’acquittement de Baudelaire. Le Tribunal écarta l’inculpation d’outrage à la morale religieuse et retint celle d’outrage à la morale publique, prononçant une amende de 300 fr. contre Baudelaire ; Poulet-Malassis et de Broise « recueillaient » 100 fr. chacun. De plus, 6 poèmes : « Les bijoux », « Le Léthé », « A celle qui est trop gaie », « Lesbos », « Les femmes damnées », « Les métamorphoses du vampire » devaient disparaître des éditions ultérieures de l’œuvre.

Baudelaire se « résigna ». Il ne fit même point appel. Et l’Impératrice, à la requête de l’avocat devenu procureur général, fit ramener l’amende à 50 fr.
Certes, ce « procès » ne fut pas, somme toute, une si mauvaise affaire pour l’œuvre qui prit l’attrait du fruit défendu et se vendit sous le manteau à beaucoup plus que 3 fr. l’exemplaire. Mais l’activité de Baudelaire se transforma. Anglicisant remarquable, il fit paraître d’excellentes traductions des œuvres d’Edgar Poe. Mais Poulet-Malassis n’abandonna pas la partie. Réfugié en Belgique, il fit paraître, sous le titre « Les épaves », une édition corrigée et accrue des « Fleurs du Mal » et qui comportait, bien entendu, les 6 poèmes susvisés. Mal lui en prit. Le Parquet de Lille intenta de nouvelles poursuites contre Poulet-Malassis seul, lequel fut condamné le 6 mai 1868 à un an d’emprisonnement et 500 fr. d’amende par le Tribunal correctionnel de Lille. Baudelaire venait de mourir à 46 ans.

Et « Les fleurs du Mal » ont poursuivi leur chemin. Louées par les uns et de moins en moins censurées par les autres, jamais elles n’ont rencontré « l’indifférence », maladie mortelle de toute œuvre littéraire. Et je retiens le mot de notre rapporteur qui, il n’y a qu’un instant, nous disait qu’il n’est point en France de bibliothèque, si modeste fut-elle, dont elle n’orne les rayons.
Cependant, les admirateurs de Baudelaire ont voulu plus. Reprenant, pourrais-je dire à leur compte l’apostrophe de Victor Hugo qui, au lendemain du procès écrivait à Baudelaire : « Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. Vous venez de recevoir une des plus rares décorations que le régime actuel puisse accorder. Ce qu’il a appelé « sa justice » vient de vous condamner au nom de ce qu’il appelle « sa morale ». C’est une couronne de plus. Je vous serre la main, poète ». Ils ont voulu que même la trace de cette condamnation disparût.

Un fin lettré de la Troisième République, M. Louis Barthou, présentait ,le 29 octobre 1929, à M. Gaston Doumergue, pour lors président de la République, un « projet de loi » ayant pour objet d’ouvrir à la Société des Gens de Lettres un recours en révision des condamnations prononcées pour « outrages aux bonnes mœurs » commis par la voie du livre. L’exposé des motifs indiquait que la compréhension d’une œuvre littéraire n’était pas toujours immédiate, que si nos « gens » des siècles passés admettaient, sans être choqués la verdeur de la plume et du langage, des temps moins éloignés de nous avaient été lus sévères et avaient qualifié d’attentatoires à la morale des œuvres dont les auteurs n’avaient nullement cherché à la blesser, qu’en définitive, et au regard des œuvres de l’esprit, le pouvoir d’appréciation du juge du fait était « précaire et instable », condamné qu’il était par le jugement de la postérité, que cependant une réhabilitation morale, pour être opérée qu’elle fut déjà dans les esprits, était insuffisante, même en se « doublant » de la « bénévolence des Parquets » qui s’abstiennent en cas pareil de poursuivre la réédition d’œuvres condamnées ; que c’était encore trop que « pareille menace » demeurât suspendue et qu’il convenait, dans un soucis de moralité supérieure, de faire disparaître, par le moyen de la procédure de « révision » régulière, limitée aux seules décisions judiciaires prononcées pour outrages aux bonnes mœurs par la voie du livre, la trace même de ces condamnations. L’opinion de la postérité favorable à l’œuvre condamnée, et le jugement également favorable des lettrés constituant « le fait nouveau » justifiant semblable procédure, étant entendu qu’elle ne serait possible que 20 ans révolus après le jour où la condamnation avait acquis le caractère définitif.

Ce projet ne vit pas le jour. Il n’était cependant qu’en « sommeil ». Il était repris 17 ans plus tard. Sur la proposition de M. Cogniot, au rapport de M. Guillon, l’Assemblée Nationale, dans sa séance du 12 septembre 1946, l’adoptait sans la moindre dissension. (Ass. Nat. 12 septembre 1946, 2ème séance, JO 13 septembre 1946, débats parlementaires p. 3693). Et c’est tout juste si « l’analytique » lui consacre une demi-colonne en précisant que la loi nouvelle permettra de réviser les condamnations prononcées « contre les ouvrages qui ont enrichi notre littérature et que le jugement des lettrés a déjà réhabilités ».

Et c’est ainsi que fut promulguée la loi qui porte la date du 25 septembre 1946, accordant « exclusivement » à la Société des Gens de Lettres le droit de demander la révision d’une condamnation prononcée pour outrages aux bonnes mœurs par la voie du livre. Cette loi, publiée au Journal Officiel du 25 septembre 1946 (Gaz.Pal. 1946 2357) ne comporte qu’un unique article, divisé en 3 alinéas. Le premier dispose que la « révision » d’une condamnation prononcée pour outrages aux bonnes mœurs par la voie du livre peut être demandée 20 ans après l’époque à laquelle le jugement est devenu définitif. Le second décide que le droit de demander la révision appartient exclusivement à la Société des Gens de Lettres, agissant soit d’office, soit à la requête des intéressés, du conjoint, des descendants ou du parent le plus rapproché en ligne collatérale. Le troisième enfin, et c’est à mon avis le plus redoutable, fait de votre Chambre criminelle, saisie par le procureur général agissant d’ordre exprès du garde des Sceaux, la « juridiction de jugement » investie d’un pouvoir souverain d’appréciation quand au « mérite » du pourvoi.

C’est un honneur, dont je perçois la charge, que celui de vous soumettre les conclusions du Ministère public. Le principe « sacro-saint » de l’autorité de la chose jugée, dont nos anciens disaient qu’il est essentiel fondement de la stabilité des États, inscrit aux articles 1350 et suivants de notre Code civil, ne risque-t-il pas d’être quelque peu mis à mal ? Et pourtant, n’est-il pas équitable, lorsque les voies de recours ont été épuisées et que s’acquiert la conviction de la vraisemblance de l’innocence du condamné, qu’un procédé juridique régulier offre à l’innocence, reconnue ou présumée, la possibilité de se faire jour ? Certes , et ce n’est point à vous, Messieurs, qui chaque semaine faites l’application des articles 443 et suivants du Code d’instruction criminelle, survivance de certaines parties de l’ordonnance de 1670, qu’il est séant de le rappeler. Et c’est pourquoi, au défaut d’un texte « normal », le législateur est intervenu.

Il lui est apparu que, parce que les livres durent plus que les hommes, il y avait quelque iniquité à ce que les sanctions dont leurs auteurs avaient pu être l’objet dans le passé, ne bénéficiassent pas, sous certaines conditions, du « revirement » du sentiment public à leur égard. Et comme les lois sont « la conscience publique de la Nation », l’extériorisation (au moins dans le principe) du vœu majoritaire du pays, nous avons le devoir de les accepter et de nous y soumettre. C’est votre tâche de tous les jours de veiller à leur stricte, exacte et correcte application.

Vous voilà donc « les juges de fait » d’un nouveau procès Baudelaire, introduit dans le « recul » de près d’un siècle, ayant à décider de l’innocence ou de la culpabilité au regard de la législation régissant l’outrage aux bonnes mœurs par la voie du livre, du poète qui écrivit « Les Fleurs du Mal ». Car, au lendemain, ou presque, de la promulgation de la loi du 25 septembre 1946 et très précisément le 21 octobre 1946, le Comité de la Société des Gens de Lettres décidait à l’unanimité moins une voix de demander « la révision » du procès Baudelaire. La Chancellerie, saisie dès le début de l’année 1947, échangeait des lettres avec la Société des Gens de Lettres, et, le 3 novembre 1947, invitait le procureur général près la Cour de cassation à introduire un « pourvoi en révision » du jugement du 20 août 1857.

Je succède donc à M. Pinard. Et cela m’inquiète fort. Nos professions qui, depuis de longues années, nous mettent au contact des réalités, souvent fort sombres, de la vie, ne nous conduisent guère dans les jardins de Muses. Je vous laisse donc le soin de relire les poèmes censurés. Mon prédécesseur avait été plus « complet » et peut-être devrais-je suivre son cheminement, donner, comme il le fit, lecture des pièces jugées offensantes pour la morale publique. Cette dernière, disait-il, étant particulièrement atteinte et la culpabilité de leur auteur invinciblement démontrée.

Sur ses réquisitions, qui atteignaient 13 poèmes sur une centaine, le Tribunal retint, en les citant, les six qu’il jugeait attentatoires à la morale publique. C’était dire, par voie de retranchement, que les 94 autres méritaient la lecture de l’honnête homme et qu’ils rejoignaient le « but moral » que le poète prétendait avoir poursuivi puisque, disait-il, il s’était proposé de donner à ses lecteurs l’horreur du vice, en en peignant les « turpitudes », le « blasphémateur » demeurant, de par son blasphème même, un croyant. Et quant à « l’outrance » du verbe, retenons que Baudelaire a pris soin de dire :

Et d’abord, j’en préviens
les mères de famille,
 Ce que j’écris
n’est pas pour leurs filles, 
Dont on
coupe le pain en tartines…


Écrivait-il pour la démonstration d’une thèse suivant les « normes » d’une école ? Nullement. Et M. Pinard l’a fort bien vu. « C’est, dit-il, un artiste qui fait de l’art pour l’art, au gré de sa vision, mû par les forces intérieures qui le guident ». Sa vie, dira Asselineau, son fidèle ami, c’était sa poésie, mais avec tout ce que la vie postule de sujétion aux misérables conditions humaines.

Et c’est pourquoi nous voyons Baudelaire suivre les méandres des éléments les plus divers dès lors qu’ils ont prise sur chaque être : la beauté, l’ivresse, le vin, les femmes, l’opium, le rêve… Et tout cela le conduit à cette conclusion désenchantée : « Je sais que la douleur est la noblesse unique ». C’est elle qui nous mène au « saint foyer des rayons primitifs ». Et voilà pourquoi aussi Baudelaire a pu dire que « pour ce qu’il engendrait de bon », le mal, lui aussi, avait « sa part de beauté ». Et enfin, la mort apaisante (Edition Crépet, projet de préface).

Dans tout cela, voyons-nous apparaître les éléments constitutifs du délit d’outrages aux mœurs par la voie du livre ?
Ce serait énoncer une contrevérité que de dire que la première partie des « Fleurs du Mal » ne contient point de poèmes érotiques au sens étymologique du mot. Une certaine Jeanne Duval (La Vénus noire), lui apportait des Antilles une ardeur dont il eu particulièrement à souffrir et qu’il traduisit en vers douloureux. Vers dont cependant « la facture » sait toujours écarter le mot vulgaire ou grossier, l’obscénité verbale à tout dire. C’est vif coloré, puissant même. Le jugement d’août 1857 le reconnaît déjà. Pour conclure, il est vrai, que « quelque effort de style qu’il ait pu faire, de quelque blâme qu’il ait assorti ses peintures… » on ne saurait nier (c’est M. Pinard qui parle) que ces vers conduisent « nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme offensant la pudeur ».

Et ceci nous conduit à un second caractère que peut présenter le délit d’outrages aux mœurs. Nous venons d’indiquer que le premier, l’obscénité dans les termes, ne se rencontrait pas dans « l’écriture » du poète. Mais le caractère attentatoire à la « moralité » peut fort bien résulter, ou s’évincer, de la langue la plus « chaste », dès lors qu’elle est utilisée pour la peinture et la description de faits « immoraux » ou obscènes. C’est du reste à cet élément, caractérisant l’infraction, que s’est arrêté le juge de 1857. Sans doute, pour nos arrière-grands-parents de l’époque, cette conception présentait-elle sa part de vérité. Dois-je dire que nos nerfs sont moins à « fleur de peau ». Nous avons fort bien « franchi » les deux Tropiques, tant celui du Cancer que celui du Capricorne, et même digéré les prouesses de l’amant-jardinier de lady Chaterley. Vous me direz qu’il s’agit là d’écrivains de langue anglaise et de traductions. D’accord, mais ceci m’est une occasion de dire que Baudelaire qui ne s’en cachait du reste pas, a emprunté à Longfellow et Thomas Gray, et souvent nourri son inspiration de leurs poésies. Son œuvre ne comporte pas moins de trois pièces intitulées « Spleen ».

Et Baudelaire ne fera pas tenir à Louis Veuillot qui « l’éreinte » dans « l’Univers », la lettre pleine de violence qu’il a rédigée à son intention. Pourquoi ? Parce que, dit-il, il veut rester un « dandy », c’est à dire un homme d’éducation raffinée (car, fait assez curieux, ce mot est passé dans notre langue, avec une acception sensiblement différente que celle légèrement péjorative que lui accorde la langue anglaise). Mais je m’égare. C’est donc ce « spleen » naturel, ou même acquis de la puritaine Angleterre, qui donna à la. poésie de Baudelaire cette « désespérance » que seules la nuit et la mort apaiseront.

La nuit voluptueuse
monte 
Apaisant tout, même la
faim
 Effaçant tout, même la
honte. 
Le poète se dit : Enfin.


Et plus loin :

Quand veux-tu m’enterrer...
Débauche aux bras immondes ;

Ô mort !, Quand viendras-tu...
Sa rivale en attraits
 Sur ses
myrtes infectes... Entre tes noirs
cyprès.


Car c’est à la mort que tout conduit :

Ô mort ! Vieux capitaine... Il est
temps, levons l’ancre ;
 C’est la
mort qui console... C’est le but de
la vie 
Et c’est le seul espoir qui,
comme un élixir,
 Nous monte et
nous enivre...
Et nous donne le
cœur de marcher jusqu’au soir.


Et combien d’autres extraits seraient opportunément retenus par un « analyste » plus qualifié et mieux averti. Nous apporteraient-ils l’élément qui, de nos jours, viendrait appuyer ce qui fut, en 1857, la thèse de M. Pinard ? Nous donneraient-ils l’outrage aux mœurs, optique 1949, C’est à dire l’exagération intentionnelle et malicieuse dans le cynisme et l’obscénité du verbe, doublé de la création d’image, attentatoires à un minimum de pudeur.

Aux yeux de notre temps, je ne le crois pas. Que les oreilles de nos anciens aient été plus effarouchables que les nôtres, d’accord. Que M. Pinard se soit fait l’interprète de leurs pudeurs inquiètes, je n’en disconviens pas. Mais l’homme et le poète sont morts. L’œuvre reste. Elle a trouvé des audiences plus libérales, non seulement en France, mais dans le monde entier. Un concert de louanges s’est élevé. Il émane des meilleurs. Les uns soulignent la probité intellectuelle et morale du poète. Les autres la richesse inégalable de ses vers. Tels, enfin le savant emploi du mot, même trop haut en couleur. Ce sont là de bons guides. Ils nous démontrent que Baudelaire a depuis longtemps l’estime des bonnes gens de France et qui seraient attristé, je le crois, que l’opprobre, même lointaine d’une condamnation flétrît plus longtemps la mémoire d’un des écrivains qui a le mieux servi son pays.

Baudelaire, qui, jusqu’au bout avait cru à son acquittement, attendait du Tribunal « une réparation d’honneur ». Reprenant à mon tour les conclusions de votre rapporteur, j’ai confiance que la plus haute juridiction du pays voudra, aujourd’hui, la lui accorder.
J’ai, en conséquence, l’honneur de conclure qu’il vous plaise décharger la mémoire des condamnés du 20 août 1857 de la condamnation prononcée contre eux.

Sources : Gaz Pal 1949 - II pages 121 et suivantes et http://ledroitcriminel.free.fr
Charles Baudelaire (1821 - 1867) par Etienne Carjat (1828 - 1906).
Charles Baudelaire (1821 - 1867) par Etienne Carjat (1828 - 1906).





Journaliste, coordinateur des articles sur l'histoire, culture et politique, ventes aux enchères. En savoir plus sur cet auteur

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